
LITTÉRATURE CONTEMPORAINE
Éditions Verticales
« Finalement, il vous dit quelque chose, notre homme ? Nous arrivions à hauteur de Gonfreville-l’Orcher, la raffinerie sortait de terre, indéchiffrable et nébuleuse, façon Gotham City, une autre ville derrière la ville, j’ai baissé ma vitre et inhalé longuement, le nez orienté vers les tours de distillation, vers ce Meccano démentiel. L’étrange puanteur s’engouffrait dans la voiture, mélange d’hydrocarbures, de sel et de poudre. Il m’a intimé de refermer, avant de m’interroger de nouveau, pourquoi avais-je finalement demandé à voir le corps ? C’est que vous y avez repensé, c’est que quelque chose a dû vous revenir. Oui, j’y avais repensé. Qu’est-ce qu’il s’imaginait. Je n’avais pratiquement fait que penser à ça depuis ce matin, mais y penser avait fini par prendre la forme d’une ville, d’un premier amour, la forme d’un porte-conteneurs. »
Des souvenirs à la pelle
Un appel de là-bas, du Havre, de cette ville mise au ban de ses souvenirs, comme une nécessité pour oublier le sinistre, la mer qui refoule tout. Son quotidien bouleversé par cet intrigant personnage lui sommant de venir au commissariat. Son numéro de téléphone dans la poche d’un homme retrouvé mort sur la plage de galets. Le train, le paysage qui défile et cette inquiétude grandissante de remettre les pieds là-bas. La rencontre, la discussion, la question celle qui emprisonnera son âme tout au long de cette journée, où les souvenirs pêle-mêle, resurgissent. Douloureux, mélancoliques, ils s’interposent dans ce présent troublé. Ce va et vient a un goût de libération, d’exorcisme du passé.
Pourtant, la ville tient en otage tous les souvenirs de celles et ceux qui ont foulé sa place. Des cicatrices d’un temps d’avant, la reconstruction, la hargne d’être encore debout, symbole de renaissance sur ses pavés. La ville se dessine au fil des souvenirs. Cette tristesse, ce gris, cette histoire qui suinte, colle à toutes les aspérités des réminiscences. La beauté est bétonnée, affable, froide.

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