DANS LA FORÊT, un roman de Jean Hegland.

Published by

on

Rien n’est plus comme avant : le monde tel qu’on le connaît semble avoir vacillé, plus d’électricité ni d’essence, les trains et les avions ne circulent plus. Des rumeurs courent, les gens fuient. Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au cœur de la forêt. Quand la civilisation s’effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre. Il leur reste, toujours vivantes, leurs passions de la danse et de la lecture, mais face à l’inconnu, il va falloir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure, emplie d’inépuisables richesses.

Considéré comme un véritable choc littéraire aux États-Unis, ce roman sensuel et puissant met en scène deux jeunes femmes qui entraînent le lecteur vers une vie nouvelle.

Le premier sentiment qui m’a frappé au fils des pages est la férocité. Un récit intransigeant, froid où la moindre émotion est cadenassée et lorsqu’elles s’échappent, c’est l’explosion assurée. Une immersion qui a des airs de fin de monde, Jean Hegland ancre dans cette fiction qui ressemble, à s’y méprendre, à une prémonition. Plus de courant, d’essence, la fermeture des écoles, des magasins, les maladies, retour à la sauvagerie et à la débrouillardise. Pourtant, au cœur de la forêt, la famille de Nell et Eva s’organise. Loin de tout, l’isolement forcé a des allures de paradis. La rudesse de la déchéance s’estompe face à celle de la nature. Les mois s’étiolent et les tragédies frappent. Nell et Eva sont désormais seules. L’une rêve de ballet et l’autre de grandes études. Mais leur garde-manger se rappelle à leurs bons souvenirs et leur rythme de vie sera bouleversé.

 

Ici, rien n’est d’idyllique. La vie agreste leur demande une certaine rigueur, réflexion, endurance et ingéniosité. Elles s’adaptent, innovent. Elles résistent. Elles écoutent la forêt, la regardent avec un nouveau regard et vivent en communion totale. Une osmose aussi magnifique que terrifiante, car l’erreur ne pardonne pas. Les rêves s’envolent pour s’ancrer dans un quotidien où la brise, l’éclat de l’eau, les nuages, un rayon de soleil, le craquement d’un arbre deviennent une réalité salvatrice et bienfaitrice.

 

Le récit déstructuré apporte ce sentiment de recul et de peur. Il est bien difficile de ressentir une certaine compassion envers les personnages. Une barrière invisible culpabilisante jette ce froid polaire. Aucune chaleur ressentie comme le feu ténu qui réchauffe les murs, les mains et les cœurs de Nell et d’Eva. La nature s’invite dans chaque interstice. D’abord silencieuse, timide, effacée, elle s’ouvre telle une corolle pour transmettre la vie, la ressource, la chaleur. Elle accueille sans jugement et donne en retour. C’est une explosion. Les descriptions sont omniprésentes offrant une visualité enchanteresse. Il y a ce quelque chose de beau, de merveilleux et d’unique. Tout se joue dans le frémissement d’une feuille, le jeu de lumières, l’attention mutuelle. Et c’est ici que réside la beauté du roman. Dans cette puissance de la plus petite particule, dans cet espoir du changement, dans l’abnégation et dans l’abandon. Une beauté sauvage où le monde se redessine selon une autre perspective.

 

Lu dans le cadre du challenge #annéeauvert de @daphnebouquine. (Thème du mois de janvier : arbre).

Laisser un commentaire